Témoignage de Margaux

Je suis têtue. Une vraie bourrique. Et surtout, je crois que je l’ai compris en préparant ce texte à la lumière du confinement : j’aime être indépendante. Et pour mon allaitement ça été pareil ! Je voulais pouvoir nourrir mon bébé par moi-même sans dépendre de quelqu’un d’autre, d’un lait, d’un médecin, d’un laboratoire industriel.

Parce qu’on fait toutes de notre mieux

Ceci n’est pas le jugement de celles qui n’ont pas réussi. Je sais à quel point il est parfois difficile d’allaiter. J’ai failli renoncer. Pour mon bien-être mental et la dépression
post-partum par laquelle je suis passée. Et peut-être même, que j’aurai dû lâcher prise
et mettre fin à mon allaitement. Alors ne vous jugez pas trop sévèrement. Ne vous jugez pas du tout en fait. On fait toutes et tous de notre mieux. Mais sachez, pour celles
et ceux qui rencontreront des obstacles, que beaucoup d’entre eux sont surmontables
et que vous n’êtes pas seuls. Il y a des personnes pour nous conseiller, nous accompagner, nous soulager. Et j’espère que vous lirez dans ce texte un témoignage d’espoir. Car ce que j’ai envie de vous transmettre, c’est l’envie de vous accrocher. 


Allaiter était pour moi une évidence. J’arrive d’une famille de trois, et nous avons tous été allaités. Ma mère avait même relancé sa lactation sur un sein après un abcès
du sein et une opération. Je savais donc qu’il pouvait exister des difficultés.
Mais je suis d’un naturel optimiste et je ne me sentais pas vraiment concernée.
Après avoir lu quelques bouquins en diagonal, ma fille avait tété en salle de naissance,
je pensais que c’était gagné. J’avais tout faux.


Petite lune de lait. C’est comme ça, que je décrirais les trois premières semaines
de mon allaitement. J’avais l’impression de vivre l’allaitement dont j’avais rêvé.
Et puis le bonheur s’est estompé. Les petits incidents ont commencés à se multiplier. Pire, à s’installer. Énervements au sein. Raccourcissement des tétées. Je commençais
à angoisser. La courbe de poids de ma fille commençait à diminuer. Puis à chuter.
Mes rendez-vous chez ma sage-femme et à la PMI ne changeaient pas grand-chose. Pourtant j’avais du lait. Beaucoup. Je ne comprenais rien.

« Parfois, le lait coule tellement rapidement au moment du réflexe d’éjection
que le bébé au sein ne parvient pas à tout avaler. Il peut alors s’éloigner du mamelon ou hoqueter, crachoter et avaler de l’air. Il peut même s’agiter dès qu’on le met au sein parce qu’il a appris à anticiper les difficultés. »

Extrait de L’Allaitement tout simplement, Le réflexe d’éjection très fort.

Lors de ma première réunion LLL, je me rappelle seulement du torrent de larmes,
de celui de ma fille et de ma chemise trempée de lait. Mais ce jour là j’ai pu mettre
un premier mot sur ce qui nous arrivait : REF (Réflexe d’Éjection Fort). Aujourd’hui,
ce petit geyser qui sortait de mon sein, j’en rigole. Mais à l’époque, le découvrir a été
un soulagement : je trouvais enfin la réponse à une de mes questions. Ce fut aussi
une source d’angoisse car j’allais devoir aider ma fille à apprendre à le dompter ce reflex.

Des obstacles à franchir

Imaginez. Vous êtes posté devant un tuyau d’arrosage, bouche ouverte. Et quelqu’un ouvre la vanne. Le jet s’engouffre dans votre bouche, violemment, la remplit toute entière, touche votre glotte, vous noie. Vous reculez, vous hoquetez, vous avalez de l’air, vous inspirez du liquide. Pour un nouveau-né, un REF, c’est ça. C’est la noyade. Il fallait que je trouve le moyen de diminuer la pression. J’ai commencé par faire appliquer les conseils de la LLL, de ma sage-femme, de la PMI. Faire téter sur le même sein.
Mais ça n’a pas suffi. Le REF persistait. Ma fille faisait de moins en moins d’efforts
pour téter. Et je la comprenais, c’était la corvée pour elle. Elle se contentait de ce qui arrivait facilement. Mais entre ses selles vertes que je subissais comme un échec et sa perte de poids, je voyais bien que la situation n’évoluait pas.

Ni Lara, ni mon couple, ni moi ne serions sortis indemne de cette épreuve
(qui allait durer 4 longs mois et demi) si nous avions été seuls. Je le dis et je le redis :
si cet allaitement a pu se poursuivre jusqu’au sevrage naturel, c’est grâce à toutes les personnes qui m’ont tendu la main et qui m’ont soutenue sans faille dans ma démarche.

L’une d’entre elle a été ma consultante en lactation. Je ne l’ai pas cherchée,
elle est venue à moi. J’avais récupéré une immense écharpe de portage toute neuve
sur une brocante et j’avais besoin d’une experte pour apprendre à m’en servir.
Et c’est à l’atelier portage qu’elle animait que j’ai pu rencontrer Audrey.
Trois jours plus tard, elle venait à la maison. 

A toutes ces femmes
qui ont été là pour nous

Oui je suis têtue. Mais je suis aussi une incroyable optimiste. A chaque fois
que je rencontrais quelqu’un pour m’aider à améliorer cet allaitement, j’avais l’impression
de rencontrer le messie. Que celle (car oui, exception faite de mon conjoint
qui m’a toujours soutenue même quand je n’étais plus que l’ombre de moi-même, seules des femmes m’ont accompagnées dans cette quête) qui devait croiser ma route saurait m’apporter LA Solution qui me manquait. 

“Lorsque la structure anatomique des freins est suffisamment élastique, la langue
du bébé peut être étirée assez loin à l’extérieur de la bouche pour une « bonne » prise du sein, et la lèvre supérieure peut être « ourlée » en appui sur l’aréole tout en gardant une grande souplesse.”

Article publié dans Allaiter aujourd’hui n° 95 et écrit par Christelle Farré, animatrice LLLF,
conseillère en allaitement, infirmière, formatrice

L’accompagnement d’Audrey m’a été indispensable. D’un point de vue technique,
elle a détecté le frein de lèvre de ma fille, qui n’avait pas été diagnostiqué à la maternité. Mais elle m’a permis d’avoir accès rapidement à des praticiens pour couper le frein
de langue de ma fille, mais aussi  l’ORL qui a diagnostiqué le reflux interne aux alentours de ses trois mois. 

Audrey a aussi été un soutien moral. Car si les diagnostics, et donc les causes
de nos soucis d’allaitement s’éclaircissaient, la situation elle ne s’arrangeait pas
pour autant. Ma fille refusait le sein. Multipliant les grèves de tétées. J’étais au fond
du trou. Perdue. Je me sentais rejetée par ma fille qui, en fait, était terrifiée.
Submergée par l’angoisse ambiante que nous infligeait les tétées.
Passé ses trois mois, même la nuit, elle refusait le sein, si bien que je passais
mes journées collée à mon tire-lait. 

Grâce aux conseils d’Audrey et de ma sage-femme, le tire-allaitement se passait bien.
Je tirais beaucoup. Parfois presqu’un litre par jour. Et c’était bien le seul aspect
que je trouvais positif.Et c’était bien le seul aspect que je trouvais positif. Je donnais
le lait à ma fille avec un DAL (ndlr : une petite bouteille munie d’un tuyau que l’on fixe
sur le sein ou sur le doigt que le bébé tète comme une paille pour en faire sortir le lait) fixé sur mon petit doigt avec un élastique, car elle éprouvait beaucoup de difficultés
avec le biberon. D’un bout à l’autre de ces péripéties, nous avons réussi à maintenir
un allaitement exclusif et je n’en suis pas peu fière. 

Une routine avait commencé à s’installer. J’ai commencé à fréquenter l’accueil
de soutien psychologique des Pâtes aux Beurres. Ce lieu m’a beaucoup aidé.
L’empathie des animatrices, leur absence de jugement m’ont apporté beaucoup d’apaisement.

C’est au rendez-vous pédiatre des 4 mois de Lara que le déclic s’est fait dans ma tête. Lara ne reprenait pas le sein, où une fois de temps en temps, pour me faire une fausse joie. La pédiatre que nous avons rencontré a pesé ma fille, la mesurée. Elle m’a félicité pour l’allaitement maintenue. Et j’ai fondu en larmes. Alors, au lieu de me conseiller
un psy et passer au patient suivant, ce médecin a pris du temps pour m’écouter.
Elle a entendu ma frustration, ma souffrance. Pendant près d’une heure nous avons échangé. Et en toute bienveillance, et sans jamais me conseiller d’arrêter d’allaiter,
elle m’a permis de reconnaître ce que je refusais de voir. Voir que l’objectif que je m’étais imposé devenait trop lourd. Et surtout, qu’il m’empêchait de vivre plein de bons moments avec ma fille.

Lâcher prise

Ce n’est pas un processus qui arrive d’un coup. Et si j’avais encore la boule au ventre
en pensant à la fin de mon allaitement, je me dirigeais doucement vers un compromis. Au fil de mes lectures d’articles, de discussions avec des mamans de la LLL, des forums, j’ai compris que ma fille ne savait plus téter. Aussi (car il est rare que je m’avoue vaincue), j’avais imaginé un protocole pour lui réapprendre. 

J’avais fait un pacte avec moi-même. Je tentais ma petite expérience et si les résultats ne s’avéraient pas concluants, alors nous allions continuer le tire-allaitement jusqu’aux
6 mois de Lara avant de passer au lait artificiel.

Tentative de remise au sein, dernier épisode

C’est notre chambre qui ferait office de laboratoire. J’avais remarqué lors des sièstes
de Lara, que juste avant son réveil (cinq à dix minutes avant), elle cherchait à téter.
Je voyais même parfois sa petite langue se mettre à onduler. Mon idée était donc,
de la mettre au sein à ce moment-là, encore endormie. Le réflexe d’éjection,
se produisait alors qu’elle dormait encore et à 4 mois, elle arrivait bien mieux à le gérer.
Le réflex passé, le débit de lait diminuait et la demoiselle se réveillait au sein,
sans angoisse, redécouvrant avec surprise qu’une tétée pouvait se faire calmement. 

Mon expérience fut un succès. Je ne boudais pas ma chance. Au bout d’une semaine, Lara commençait à reprendre le sein timidement en journée. Quelques semaines plus tard, elle réclamait davantage, principalement en écharpe ou lorsque nous étions
dans un bain.

Notre allaitement s’est progressivement apaisé. Étonnamment, je me suis lassée
avant elle. Plus elle grandissait, plus cette relation se négociait à deux. Les temps de tétée diminuait à mesure qu’elle découvrait la vie. L’année de sa rentrée en maternelle,
je vous avoue, j’en avais assez. Nous étions rendues à une micro tétée de 5 minutes
le matin au réveil. Alors nous avons commencé à discuter du sevrage ensemble.
Et puis la veille de ses 4 ans, un jour, elle m’a dit : “je suis grande maintenant, la tétée, c’est pour les bébés”. C’était terminé. 

Aujourd’hui, elle aime de temps en temps jouer encore au bébé ! Dans ces moments-là, elle fait semblant, pour s’amuser et me câliner. J’aime qu’elle ai eu son mot à dire dans la fin de cet allaitement. Et j’aime me dire, que d’un bout à l’autre, c’est un lien fort qui nous a transcendé toutes les deux.

Margaux
PS (parce que c’est presqu’une lettre à près tout) : Je voudrais ajouter un remerciement tout particulier aux deux personnes sans qui cet allaitement n’aurait pas été possible. Mon conjoint et ma mère en premier lieu. Ils ont été mes meilleurs soutien.

https://www.lllfrance.org/